La reconnaissance du talent est du domaine du savoir. Elle fait référence à une culture ( le contraire de la friche ), une habitude d’écouter, une capacité de juger et discerner le bon du mauvais ( ce qui veut dire le compétent de l’incompétent mais pas seulement, il faut aussi cibler l’aisance, l’élégance, le raffinement, …et tout ce qui fait la singularité d’un artiste ! ).
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Cependant on entend souvent dire : « il (ou elle) a du succès, ça doit être bien. » Il s’agit là du sentiment vulgaire qui identifie la célébrité à la valeur : qui est célèbre est bon, qui est inconnu est mauvais ! combien de fois a-t-on entendu dire à propos de quelqu’un d’inconnu « mais elle chante sublimement ! Pourquoi n’est-elle pas plus connue ? … alors qu’il y a tant de nullité que l’on entend chanter !…» L’accès aux médias de masse ne va pas de soi ; il existe un filtre puissant qui a des critères qui peuvent surprendre ceux qui croient naïvement qu’il faut être bon pour « y arriver ».
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Le plus souvent, on ne naît pas …connu, mais on le devient, il faudrait donc se poser la question de savoir comment précisément on le devient. C’est là que commence le
show biz : fabriquer non pas du talent mais du …connu ; c’est évidemment plus facile : n’importe qui peut être propulsé au devant de la scène s’il a - ou se fabrique - quelque
trait attractif. Une femme, un homme joli ou sexy mais qui ne sait pas chanter vendra des disques – combien de potiches masculines ou féminines se sont fait refaire le «look» pour avoir l’image
qu’il faut pour vendre ? Parallèlement, combien ont appris ou parfait leur technique vocale ? Quand on sait que les chanteurs lyriques - pour qui la qualité du chant a encore une valeur
– prennent des cours avec un professeur de chant pendant toute leur carrière …on contemple la différence.
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On peut objecter que c’est un tout et que « être beau fait partie de l’image » … bien sûr, il s’agit d’un tout sauf que dans ce tout une importance primordiale est accordée à tout ce qui est inessentiel. Le seul objectif étant que ça plaise à un maximum de gens ( peu importe s’il ne sait pas chanter pourvu qu’il plaise, qu’il ait les yeux verts, qu’il ait le teint bronzé, qu’il ait du bagout, qu’il corresponde à l’image dominante du mâle ou de la femme glamour, etc. ) L’important dans le show biz (l’industrie du spectacle) c’est le rendement en monnaie sonnante et trébuchante ! Pour cela, il faut vendre au plus grand nombre : l’objectif va consister à vendre en s’accrochant à …ce qui marche ! Le pragmatisme est l'essence même du commerce : qu’importe si ce qui marche n’a rien à voir avec l’art de faire et chanter des chansons (ce serait pourtant le but d’un producteur de musiques que de cibler la qualité d’un artiste …), on vendra des marchandises chantées pour l’image qu’elle renvoie aux consommateurs et non pour l’usage ( l’écoute des chansons ) que celui ci devrait en faire. Combien de gens achètent les CD de Mylène Farmer pour les photos érotiques (de la …chanteuse, comme c’est excitant ! ) qui s’y trouvent ?
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Dans les marchandises « culturelles », la valeur d’usage est de plus en plus absente ; c’est la qualité de l’emballage qui a pris le pas. Il faut noter qu’au même titre que n’importe quelle marchandise, les chanteurs du show biz sont interchangeables et que le remplacement de l’un par l’autre se fait sur un rythme de plus en plus rapide. La marchandise elle même est de plus en plus insignifiante car il faut attirer l’attention des consommateurs à tout prix et par tous les moyens. Attirer l’attention sur la musique, les paroles, le rythme serait trop compliqué et on s’adresserait à trop peu de gens…
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Du point de vue du consommateur, sentir que le CD qu’on achète a le vent en poupe, c’est ce que beaucoup de gens recherchent ( d'après une étude lourde de sens : " C’est ... ce qu’a montré une étude réalisée dans l’entre-deux tours de l’élection présidentielle française en 2012. Quelque 1 000 votants étaient interrogés sur leurs intentions de vote au second tour ; dès lors qu’on leur présentait les résultats d’un sondage fictif allant dans le sens contraire de leur intention initiale, ils changeaient d’opinion dans 25 pour cent des cas, pour rallier l’avis majoritaire exprimé par le sondage " ; on pourra aussi consulter les expériences de Salomon ASH... qui vont dans le même sens ! ) ; qui a l’honnêteté d’écouter dans son coin – en s’isolant – de se dire : « c’est bon, j’aime écouter, j’ai fait une rencontre avec cet artiste …et ce, quelque soit l’avis des autres ? » L’amour des produits du show biz ( dont le modèle est le tube) est une démarche grégaire… On aime les tubes ! Quoi de plus stupide ? …c’est parce qu’un disque a été beaucoup vendu qu’on doit l’écouter, le trouver bien, et l’acheter ? et pourtant, les radios qui ont le plus d’audience font leurs choux gras avec …les tubes ! la simple évocation du fait qu’un disque a été beaucoup vendu, qu’il est passé à la radio et à la télévision – et donc a été beaucoup vu et entendu - est un argument de vente ( « Vu à la télé », comme disait une ancienne pub ) Qui a vendu, vendra ! C'est la seule morale du capitalisme.
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On arrive de l’autre côté du miroir : le goût du jour se fabrique ! il n’est pas besoin de rechercher beaucoup dans les archives pour savoir que le rap (qu’on qualifie de musique des rues) est en fait un pur produit de studio mais …qui renvoie à l’image de la rue ( une image en vogue bien sûr, mais les images, ça se fabrique aussi, …demandez aux publicitaires ! ) Les choix de la grande distribution - en matière de produits culturels comme pour le reste - sont effectués …“ démocratiquement ” bien sûr ! Les réactions des consommateurs ne sont pas difficiles à prévoir, elles font l’objet de tant d’investigations, d’études et de sondages que les pièges tendus par les experts du marketing font mouche presque à tous les coups. Et le consommateur vit dans l’illusion permanente d’être maître de ses choix… !Qui sait que la plus grande partie de la musique entendue à la TV et sur les radios de grande diffusion n’a pas été choisie selon des critères artistiques mais imposée parce que les producteurs de musique avaient acheté du temps de passage …étonnez vous après qu’un tube pourtant débile s’est immiscé dans votre tête ; ce n’est certainement pas parce que c’est de la bonne musique …mais parce qu’on a payé pour son entrée dans vos méninges.
Au moment où les budgets publicitaires atteignent des sommets comment peut-on encore parler de liberté de choix, noyés que nous sommes dans cette avalanche de messages qui ordonnent à tous la même chose : consommer des marchandises ! A force de voir et d’entendre toujours la même chose on finit par aimer …ou s’accoutumer, ou simplement supporter. Nous sommes tous peu ou prou contaminés. Qui peut se vanter que la publicité n’a aucun pouvoir sur lui ? Peu importe le produit particulier qui est vanté, c’est globalement la soumission de tous à cette pluie de mensonges suggestifs qui fait problème : à ce jeu certaines marchandises - certains « artistes » - sortiront gagnants d’autres perdront mais dans tous les cas c’est l’humanité toute entière qui s’y perd.
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Il en est de la musique de masse comme du cinéma ou du livre. Et tous ces messages, on le sait, seront finalement « absorbés » d’une façon plus ou moins
inconsciente. On aura visé la consommation des marchandises mais il y a là toute une dimension « éducative » qui induit des comportements et des goûts qui se répandent à si grande
vitesse qu’on en est parfois surpris. C’est ce qu’on appelle la liberté de fabriquer et de vendre des marchandises qui sont de plus en plus …du vent ! Ce qui est vendu est moins un objet
artistique qu’un comportement façonné pour le consommateur pour entretenir le système. Le résultat est que l’entreprise générale de ce monde consiste à décerveler et les premières victimes en
sont les jeunes générations. Orwell avait prévu pour 1984 son meilleur des mondes et nous y sommes les deux pieds dedans depuis longtemps.
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En guise de conclusion, on peut s’adresser d’abord à ceux qui ne manqueront pas de dire : « mais on ne va pas changer le monde … » Rassurez vous ! nous vivons en démocratie et - en conséquence - il n’est pas question pour les hommes de faire le monde dans lequel ils vivent, nous le savons bien ! ce n’est plus à l’ordre du jour …de l’immense machine qui nous broie ! On pouvait certes penser le contraire, d’après l’étymologie du mot « démocratie », mais les mots ont-ils encore un sens ? Quant aux solutions on n’en voit guère : ce qui est normal, s’il y en avait eu de si évidentes, les experts du marketing se seraient rués dessus pour colmater la brèche. Le show biz a jadis produit de grands artistes mais les conditions de l’époque n’étaient pas les mêmes qu’aujourd’hui. Aujourd’hui de petites portes peuvent s’ouvrir mais se refermer aussitôt ; car dans ce domaine comme dans d’autres, ce ne sont guère que les créations de petite taille qui peuvent avoir une consistance artistique. La seule certitude, c’est que les mastodontes de la production « culturelle » ne peuvent plus fabriquer que des monstres.